Nous commençons notre périple corse...
Le vent est souvent froid depuis notre départ de port Camargue ce qui oblige à porter au minimum une polaire en navigation.
Calvi où nous sommes arrivés, est une agréable petite ville historique à l'entrée d'une baie grandiose, bordée d'une longue plage de sable dorée.
Nous voulions nous faire un petit Resto en arrivant de notre traversée, exténués par une nuit presque blanche, et 20 h de navigation.
Sur le port face à la mer, il y a des dizaines de restos. C'est à celui qui aura la vue la plus extraordinaire sur le port et la citadelle.
Mais nous, on a le "Routard"....
On décide donc d'aller à la "super adresse" dans la vieille ville. On arrive devant le Resto, la carte et le menu du jour ne nous plaisent pas vraiment... En d'autres termes on a fait les difficiles...
Donc on repart dans la rue commerçante... On s'arrête devant une pancarte qui propose un "menu Corse". Avec la fatigue qui nous accable, nous lisons et relisons ce menu sans que les infos s'impriment dans nos cerveaux qui fonctionnent au ralenti.
Et là, coup de grâce, la patronne arrive.
" je peux vous renseigner Messieurs dames..."
Une entrée en matière classique, qui peut soit faire fuir le mangeur potentiel qui se sent agressé dans sa flânerie analytique des cartes, soit donner une impulsion à un frémissement de décision qui n'attendait que cela pour se finaliser.
" j'ai de la place en terrasse", continue t 'elle
Sans même jeter un œil à la terrasse, on se tourne l'un vers l'autre pour chercher dans nos regards respectifs un signe quelconque d'approbation, et presque ensemble on dit:
"Oui, d'accord on va essayer le menu Corse"
"Suivez moi, vous préférez être au soleil ou à l'ombre,"
Et c'est là qu'on se rend compte que les tables sont de guingois dans une ruelle étroite avec vue sur escalier, coupée en deux par l'ombre et la lumière, absolument sans charme... Heureusement on échappe aux odeurs de cuisine...
Et devinez quoi, on prend une pizza, car on a peur de trop manger avec le menu Corse, et un pichet de rouge que j'aurais dû garder pour détartrer mes toilettes...
Mais avec une bonne dose de bicarbonate, j'ai pu calmer l'acidité qui m'empêchait de faire une sieste réparatrice.
On a tous droit à un moment ou un autre à ces ratés, ces moments de disgrâce où tout se met en place pour faire les plus "mauvais" choix. Cela fait partie du jeu, on a de bons fous rires et ces épisodes laissent toujours des souvenirs qui s'impriment plus profondément dans nos mémoires que les autres...
Le lundi matin nous reprenons la mer en direction de Girolata. Une navigation ordinaire avec du vent. Sur la route nous flemmardons pour découvrir les splendeurs de la Scandola, une réserve naturelle avec des parois de rochers rougeâtres qui tombent dans la mer, des criques, des grottes, des pics...
Le soir, nous préférons mouiller gratuitement dans la petite anse de Tuara au fond de laquelle s'étend une très belle plage et où nous ne sommes que 4 bateaux.
Ensuite le lendemain nous partons pour l'anse de Porto d'Arone.
Une autre magnifique plage, mais un peu moins sauvage puisqu'il y a 2 restaurants avec une magnifique vue sur la baie et quelques maisons sur la colline. Mais rien d'oppressant en ce début juin.
Nous en profitons pour gonfler l'annexe, mettre en place le moteur et faire quelques essais d'installation sur le portique. Le palan pour remonter l'annexe me sert également pour ranger le moteur, ce qui évite de trop faire travailler mon dos.
Puis cap sur Campomoro en faisant l'impasse d'Ajaccio et d'autres beaux endroits que nous ferons en remontant, si nous revenons sur nos pas pour le retour.
Le mouillage très prisé, par les navigateurs, est un bon abri pour se protéger de la mer.
Au loin, Fab scrute à la jumelle l'entrée de la baie pour voir si elle voit des mâts.
"J'en vois 5, c'est bon on aura de la place..." Me dit elle.
Au fur et à mesure de notre avancée, l'angle change et les mâts jaillissent comme des boutons sur le front d'un ado.
En entrant, on découvre une véritable petite forêt de gréements, qui veut dire que tous les bons emplacements sont déjà occupés.
Je vois une place qui me paraît acceptable, nous jetons l'ancre, mais il me semble que l'on est prêt de nos voisins. Nous remontons l'ancre, et la rejetons un peu plus loin.
Je demande à Fab d'enclencher la marche arrière pour éprouver la qualité d'accroche de notre ancre, la chaîne se tend, et d'un seul coup elle se bloque et le guindeau dans un bruit horrible redonne de la chaîne.
Je lui hurle "STOP"....
"Houston... Nous avons un problème..."
Je saute dans ma combinaison spatiale d'homme grenouille galactique (car l'espace liquide est encore froid), et je sors du vaisseau, pour analyser la gravité de la situation.
Je me dirige vers l'ancre en suivant la chaîne, celle ci est prise dans une sorte de bec rocheux d'un alien coinceur ( une espèce très dangereuse!)
Impossible de plonger sans bouteille, à 11mètres. Cela tombe bien je viens d'en acheter une. Mais je ne m'avoue pas vaincu si facilement.
La capitaine en second est à bord et scrute les manœuvres.
"Tu reprends doucement de la chaîne".... "Encore un peu"
Je surveille les opérations à travers la vitre de mon scaphandre..
Une fois la chaîne tendue au niveau du bec du monstre, je décide de pousser le bateau en palmant de façon musclée. Les 10 tonnes de "SEA YOU" bougent lentement.
Je vois que la chaîne se déplace légèrement au niveau de la fente qui la coinçait, ce qui est bon signe...
Je continue de palmer et miracle l'alien lâche prise et la chaîne sort de son piège.
Je regagne le vaisseau au plus vite, car il faut enclencher l'hyperespace pour trouver un mouillage plus accueillant.
On va enfin pouvoir prendre l'apéro...
Campomoro, est une anse surmontée par la plus importante tour génoise de la Corse, avec une magnifique plage et une eau aux couleurs de lagon. Et là encore l'endroit est préservé de l'urbanisme touristique dévastateur.
Le lendemain nous faisons une expédition à terre pour découvrir et visiter tout cela.
Nous y passons 2 nuits.
Aujourd'hui cap sur l'anse de Furnelu.
Je ne vais pas encore vous raconter que l'endroit est sublime, vous allez finir par vous lasser.
Il est seulement encore un peu plus sauvage.
Un troupeau de vaches fait du naturisme sur la plage. Elles laissent derrière elles de petits monticules sombres tels des champignons qui pousseraient sur le lit d'algues qu'elles affectionnent pour ruminer.
C'est la nature...
Sous les arbres, il y a des chaises qui restent là à l'année certainement. L'après midi des gens du village viennent s'y retrouver pour discuter et faire une partie de boules. Nous parlons un bon moment avec un groupe de vieux Corses bien sympathiques.
Un d'entre eux nous apprend qu'à l'endroit où nous avons mouillé, un bateau romain avait coulé et que quand il était jeune il avait trouvé et ramener des amphores...
"Maintenant avec les combinaisons et les bouteilles, il ne reste plus rien" nous dit-il avec un peu de nostalgie.
C'est sans vent que nous ne mettons pas les voiles pour Bonifacio, mais que nous allumons le moteur.
A peine sortis de l'anse, c'est du brouillard qui nous surprend alors que nous avions pris le "breakfast" au soleil... Nous mettons le radar, pour une petite demi-heure et le soleil revient.
Nous approchons de cette déchirure au milieu des falaises qui fait toute la beauté du lieu.
La mer est chaotique devant l'entrée, à cause du ressac.
Devant moi un ferry entre dans le goulet. Des bateaux de touristes blêmes secoués par les vagues, le petit déjeuner au bord des dents, croisent dans tous les sens, il y en a qui rentrent qui sortent qui coupent la route. Juste derrière un bateau de pêcheur me suit. Sur ma droite un gigantesque yacht le SEANNA, 65 mètres de long, 5 étages, 12 mètres de large est sur ma ligne de croisement, et je ne sais pas bien qu'elles sont ses intentions?
Très gentlemen, et aussi parce qu'il vient sur tribord, je lui laisse la politesse.
Nous voilà entrés dans le chenal juste derrière le yacht de milliardaire.
On l'entend appeler la capitainerie sur la VHF.
Il ralentit, je ralentis. Nous aussi nous appelons la capitainerie qui ne répond pas, nous la rappelons 2 fois.
Enfin une voix nous parle, juste au moment où le bateau de pêcheur derrière nous décide de doubler tout le monde en mettant les gaz à fond. Il fait vrombir son antique moteur diesel qui crache une horrible fumée noire et pétarade à tout va comme un vieux tacot. Fab se colle la VHF sur l'oreille pour tenter d'entendre les infos.
" mettez vous au ponton L, il y a de la place" nous lance une voix un peu stressée.
Quand moi aussi je m'apprêtais à doubler le yacht qui s'est arrêté, deux vedettes du port arrivent en trombe en faisant des signes pour stopper la circulation car le yacht de 65 m va tourner sur lui-même. J'étais déjà engagé dans ma manoeuvre, de dépassement.
J'interroge le bosco:
" qu'est ce que je fais?"
" ok passez mais dépêchez-vous"
Je mets les gaz et dépasse le palace flottant.
En face de moi 3 voiliers qui sortaient sont arrêtés. Mais un quatrième derrière qui n'a rien vu et rien compris fonce pour doubler ceux qui sont à l'arrêt. Cerise sur le gâteau, il ne regarde rien et fonce droit sur moi... Je m'écarte en essayant de trouver encore un espace pour me faufiler, pendant que Fab hurle vers le voilier fou...
Enfin au dernier moment un équipier nous voit et prévient le skipper de ce bateau de location qui s'excuse quand même pour cette montée d'adrénaline.
Parce que c'est presque toujours comme cela quand on rentre dans un port, le vent se lève et des rafales balayent maintenant le plan d'eau. Nous repérons le ponton L.
Je m'avance au fond du port pour faire demi-tour. Il y a des bateaux à touristes partout qui arrivent et qui partent, et comme je suis dans leur espace, ils n'ont cure de SEA YOU qui se débat avec un vent de travers pervers.
Nous venons à peine de nous retourner que l'on voit l'immense yacht qui nous arrive droit dessus en marche arrière, avec les deux bateaux de bosco qui nous disent encore une fois de dégager...
Je leur dit que je vais au ponton L juste à côté...
"Ok, passez vite" me disent ils une nouvelle fois.
Je m'engouffre à vive allure entre les deux pontons...
Arrière toute pour freiner et arrêter SEA YOU.
Tout le monde regarde le spectacle du SEANNA qui jette 2 énormes ancres juste au niveau du ponton L, tout en continuant de reculer vers le quai d'honneur au fond du port.
Je m'approche doucement par l'arrière de notre ponton qui est assez haut, personne ne nous voit, captivé par la manoeuvre exceptionnelle en cours. Alors Fab qui aimerait bien ne pas avoir à sauter sur le quai, essaie d'attirer l'attention d'un marin et lui demande de prendre nos amarres.
ÇA Y EST... on est à poste... On peut souffler... Quel bonheur...
On prend 10 mn pour décompresser et savourer l'instant, tout en regardant nous aussi le SEANNA, puis rangement et nettoyage du bateau à grande eau !
En revenant de la capitainerie, je repère un petit Resto qui fait des moules avec des frites maison, et une terrasse avec vue "all inclusive", le port, la citadelle, les remparts, les falaises et notre bon SEA YOU.
Je n'ai même pas ouvert le Routard !!!
A SUIVRE...
"SEA YOU" SOON...
DOM et FAB